Cette série s'appuie à la fois sur le fruit de mes réflexions par rapport à mon expérience à la maison et à l'école ainsi que sur mes lectures, de Maria Montessori, bien sûr, mais aussi de l'excellent ouvrage de Donna Bryant-Goertz "Children who are not yet peaceful" et qui a paru l'an dernier en France chez Desclée de Brouwer sous le titre "Quand l'école s'adapte aux enfants".
Le point de départ de cette série est la question suivante: "comment respecter réellement le rythme de l'enfant sans nous laisser influencer par notre propre temps à nous, les adultes, qui d'une part avons un mode de fonctionnement différent et d'autre part sommes déformés par l'éducation que nous avons reçue et les pressions de la société?"
C'est une problématique qui me semble fondamentale et qui soulève des points sensibles.
Dans ses ouvrages, et notamment dans le 2ème tome de la Pédagogie Scientifique, Maria Montessori parle abondamment de cet élan intérieur, de ce véritable guide qui fait que l'enfant s'oriente vers le meilleur pour lui même et se révèle un infatigable travailleur en 3-6 et un infatigable "découvreur" en 6-12.
Ceci-dit, rien n'est jamais magique et il ne suffit pas de plonger un enfant dans une ambiance Montessori pour que, du jour au lendemain, il se révèle un "enfant nouveau" tel que Maria Montessori l'a décrit.
Elle-même prend le temps de nous parler de ce qu'elle appelle - d'un mot qui sonne un peu malheureusement- "déviation" (qui signifie simplement que l'enfant est sorti de la voie tracée par son guide intérieur dans un réflexe de protection, en réaction à des conditions qui allaient à l'encore de son développement harmonieux). Elle ne nous cache pas qu'il faut du temps pour qu'un enfant - et a fortiori une classe entière quand on commence tout juste à mettre en place cette pédagogie!- se "normalise", c'est à dire reprenne le chemin de son développement harmonieux.
Les enfants qui arrivent dans une ambiance Montessori ont besoin de temps avant d'intégrer son mode de fonctionnement. C'est vrai en 3-6 et les premiers mois de chaque année sont consacrés à l'accueil des nouveaux. C'est d'autant plus vrai avec des enfants 6-12 surtout si leur passé scolaire a été douloureux.
Je me souviens de cette enfant arrivée à l'école dans un état d'épuisement scolaire. Elle venait d'un établissement appliquant une méthode pédagogique "à l'ancienne" très stricte. L'équipe enseignante n'avait pas été avare de jugements sur cette petite fille, son comportement, ses capacités scolaires... Tous les jours ou presque la petite revenait avec une remarque de son enseignante et le corps enseignant pensait à une classe "spécialisée" pour elle.
Nous étions fin mai. En entendant les parents me raconter le quotidien scolaire de leur fille je leur ai proposé de l'intégrer dès le mois de juin. Et je leur ai expliqué que j'allais commencer par la laisser se reposer. Non pas ne rien faire du tout, mais laisser son cerveau souffler de ces activités très scolaires et donner des choses intelligentes à faire à ses mains car tout dans le discours de ses parents laissait penser que cette petite fille avait besoin que l'on rétablisse l'équilibre.
Pour moi qui venait de lire Donna Bryant-Goetz l'été précédent, il était évident que la première des choses à faire avec cette petite fille était de renforcer sa confiance en soi et laisser revenir le goût d'apprendre avant de se lancer dans le "programme". Et c'est aussi ce que j'ai expliqué aux parents qui me semblaient alors partager complètement mon point de vue.
Et de fait, pendant le mois de juin, cette petite fille de 7 ans a fait beaucoup d'activités de vie pratique et sensorielle tout en découvrant tout doucement les bases du matériel de calcul et de langage et en participant à son rythme aux activités culturelles proposées à la classe ainsi qu'au spectacle de fin d'année.
Petit à petit, la petite fille tendue s'est apaisée. J'ai vu son attention toute entière absorbée par son activité, son sourire plein de fierté de réussir des choses avec ses mains. En l'observant discrètement, je voyais combien cette activité de versé tout de simple qu'elle venait de prendre sollicitait son poignet d'une manière nouvelle pour elle qui allait pouvoir lui apporter de l'aisance pour la suite. En terminant un autre activité, le mouvement de ses lèvres disaient très bien combien elle se sentait tout à coup "capable" de quelque chose.
Certes nous avons vu aussi que cette petite fille aurait un long chemin à faire dans sa gestion de la relation à l'autre et qu'il nous faudrait l'aider, tous ensemble. Mais elle était aussi capable de s'absorber longuement dans un travail alors que sa dernière enseignante voyait en elle une enfant hyper-active. Cette enfant aurait besoin de temps, notamment pour restaurer sa confiance en soi, mais une fois suffisamment bien posée, elle devrait pouvoir s'intégrer dans la classe et progresser.
En la voyant évoluer, je pensais à une anecdote racontée par une de mes amies montessorienne quelques mois plus tôt. Elle avait rencontré une ancienne élève d'une école Montessori de Haute-Savoie. Arrivée à 11 ans avec des lacunes énormes, l'éducatrice a commencé par lui montrer de la vie pratique et sensorielle. La jeune femme a rapporté à mon amie qu'elle avait passé une année entière à ne faire que cela et qu'un jour, il y a eu comme un déclic en elle. Elle a demandé à son éducatrice de lui faire des présentations de langage et de calcul. A partir de ce moment-là, elle n'a cessé de progresser et de rattraper son retard.
A la rentrée de septembre, la petite fille que j'avais accueillie en juin avait déjà regagné pas mal de confiance en soi. Elle restait cependant très dépendante de moi pour choisir ses activités. Elle choisissait seule des activités de vie pratique et sensorielle mais elle avait besoin de moi pour lui dire quoi faire en calcul et langage. Elle avait visiblement envie de démarrer ces matières, sans doute pour ne pas être à la traîne de sa petite sœur, mais elle n'avait pas encore d'élan vraiment personnel.
Petit à petit, cependant, je l'ai vue faire preuve d'initiative et se lancer dans un travail par un élan véritablement personnel et sa concentration et la joie sur son visage à ce moment-là étaient éloquents.
Ce sont des matériels de calcul qui l'ont captivée: les carrés, le matériel des hiérarchies notamment. Elle commençait à se mettre au travail avec plaisir tout en observant beaucoup ce qui se passait dans la classe et en essayant de nouer des relations avec les autres enfants.
Accompagner un enfant ainsi demande du temps, suppose confiance en l'enfant et lâcher-prise quant à nos attentes. Pour l'éducatrice, quand l'école démarre, il est difficile de ne pas céder à l'envie que tous les enfants réussissent facilement et rapidement afin d'asseoir la crédibilité de l'école. Aussi n'avais-je pas donné ce temps à 2 enfants de la classe lors de la 1ère année alors que - avec le recul - je me rends compte qu'ils en auraient eu bien besoin eux aussi.
Pour les parents, il n'est pas si facile d'accepter sans sourciller de respecter complètement le temps de l'enfant. Notre société ne cesse de produire des discours sur les enfants, l'éducation, le rôle des parents... Et dans une société en crise, on espère que les années de formation de l'enfant, autrement dit l'école, lui permettront d'accéder à une bonne vie, à un bon emploi...
Aussi, les parents, une fois qu'ils ont constaté que leur fille commençait à aller mieux, ont commencé à avoir des attentes de niveau scolaire. La petite soeur brillante restée dans l'autre école leur offrait un point de comparaison qui ne facilitait pas le lâcher-prise...
J'ai bien essayé de défendre mon point de vue, de faire comprendre le besoin de temps. Mais je ne me sentais pas aussi assurée que la directrice de l'école de Haute Savoie qui n'hésite pas à dire aux parents d'essayer une autre école s'ils n'acceptent pas que le temps soit laissé leur enfant.
Petit à petit, je me suis sentie tenue de répondre à la demande des parents et à pousser la demoiselle pour qu'elle atteigne un certain niveau dans un certain temps. Elle-même semblait parfois prendre à son compte le discours de ses parents. Et pendant 2 ans, elle a ainsi travaillé dans notre classe et avancé en langage et calcul atteignant un niveau correct pour son âge.
Cependant, en continuant à l'observer, j'ai remarqué que les moments de concentration sont devenus plus rares, les relations avec les autres plus tendues, voire problématiques, petit à petit, la joie de venir à l'école s'est estompée... Les moments de plaisirs dans l'apprentissage restaient, mais nous n'étions plus sur la même voie, c'était autre chose.
Je me demande souvent ce qui se serait passé si j'avais pu laisser cette enfant évoluer vraiment à son rythme sans la pousser. Je pense souvent à ces récits d'A.S. Neill dans "Libres enfants de Summerhill" qui parlent d'enfants qui se décident soudainement à apprendre les matières "scolaires" et couvrent en quelques mois le programme d'une ou plusieurs années. La volonté et la confiance en soi sont clairement au cœur de cette réussite.
Dans son livre "Quand l'école s'adapte aux enfants" ("children who are not yet peaceful"), Donna Bryant Goertz écrit: "Le temps [est] la chose que la société a le plus de mal à accorder aux enfants." Or "Le don du temps est précieux; c'est un don que tout enseignant ou parent pourrait faire généreusement."
Donner vraiment le temps aux enfants reste encore une chose difficile pour nous, les adultes.
Dans un prochain article, je réfléchirai à la thématique du programme scolaire et des enfants qui semblent "en retard".
Bonjour Marie-Hélène,
RépondreSupprimerJ'aime beaucoup ton billet qui illustre ce besoin de temps pour les enfants, cette musique intérieure propre à chacun et la difficulté de résister aux pressions adultes et pseudo normes.
Merci pour cet article qui tombe à pic : Moyen, 8 ans et 2 mois, ne lit toujours pas et parfois, avec la pression extérieure, je me demande si je dois "pousser" un peu... Non, juste lui laisser du temps !!!
RépondreSupprimerCoucou Charlie!
SupprimerJustement, c'est un questionnement que je vais aborder dans la suite de cette réflexion ;-)
C'est une vrai problématique: "pousser" ou pas?...
La suite, la suite !!!
SupprimerOui, oui! J'y travaille ;-) Bientôt, promis!
SupprimerBonjour et merci pour ce billet; même si je suis encore loin de la tranche d'âge 6-12, cette réflexion est universelle et vient enrichir ma préparation mentale à l'IEF.
RépondreSupprimerJ'ai hâte de lire la 2ème partie (mais je laisse le temps au temps ;-) )