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Voilà un moment que cet article me trotte dans la tête et que je n'arrive pas à l'écrire. Mais l'enjeu est trop important, alors tant pis si la forme n'est pas ce que j'attendais!
Récemment, sur ce blog, j'ai relayé la proposition de loi d'Eric Ciotti tendant à interdire l'IEF et à soumettre à autorisation l'ouverture des écoles hors-contrat. Un texte tellement énorme quant à l'IEF qu'il y avait bien des chances que, comme d'autres auparavant, il ne passe pas l'étape du projet.
Mais nous ne savions pas, alors, que l'IEF était sous la menace d'un danger bien plus proche et bien plus immédiat. En effet, c'est au sein même du ministère de l'Education Nationale, que se préparait le coup le plus meurtrier...
Lorsque Jules Ferry, (un homme pourtant pas particulièrement commode ni souple) a fait passer ses lois scolaires en 1882, il s'est bien gardé de rendre l'école obligatoire, seulement l'instruction. Pourtant, il rêvait d'une école qui forme de bons petits soldats républicains et que la France en finisse une bonne fois pour toute avec les régimes monarchiques. Malgré tout, la liberté individuelle restait encore supérieure à ce rêve et le choix des modalités d'instruction est donc resté aux parents, conformément à la Déclaration des Droits de l'Homme.
Jusqu'en 1998, les parents jouissaient donc d'une magnifique liberté concernant l'instruction de leurs enfants et ils avaient aussi la liberté de se regrouper en écoles informelles et familiales. Il a fallu la malheureuse histoire des enfants de la secte Tabitha's place pour que Ségolène Royal réagisse une fois de plus sous le coup de l'émotion (elle avait fait de même avec la règlementation des sorties scolaires...) et prenne une série de mesures visant à contrôler plus étroitement ces quelques enfants qui ne fréquentaient pas les écoles déclarées. Les écoles parentales non déclarées ont été les grandes victimes de cette mesure, mais, globalement, les parents ont pu continuer à instruire leurs enfants en suivant la pédagogie et la progression qui leur convenait.
Certes, tous les ans, les parents sont contrôlés pour voir si leurs enfants reçoivent un enseignement effectif qui leur permette d'arriver au socle commun des compétences, mais jusqu'à présent, les inspecteurs viennent au domicile de l'enfant et, pour juger de l'instruction reçue, les parents peuvent s'opposer à ce que l'enfant subissent une batterie de tests, surtout si la pédagogie utilisée à la maison est très différente de celle de l'Education nationale, et d'autant plus si l'enfant a eu un vécu scolaire douloureux et que les tests ravivent des blessures parfois très importantes.
Aujourd'hui, les conditions d'IEF se retrouvent sérieusement menacées.
Face au nombre grandissant d'enfants instruits en IEF, les inspections académiques avaient déjà tendance à convoquer de plus en plus les familles dans des établissements scolaires ou les inspections, surtout pour les enfants en secondaire. On imagine bien l'intérêt de la chose pour les inspecteurs. Mais l'intérêt de l'enfant et, plus largement, des familles? Outre la difficulté de transporter les outils pédagogiques, que dire du stress de l'enfant dans ces conditions?
Jusqu'à présent, les familles pouvaient refuser la convocation et demander une inspection au domicile. Ça se passait plus ou moins bien, mais les familles étaient dans leur droit.
Aujourd'hui, le ministère veut laisser le choix du lieu de contrôle à la seule inspection académique. Pire encore, au cas où le parents refuseraient à 2 reprises un contrôle, ils se verraient notifier une injonction de scolarisation...
Mais ce n'est pas tout!
Dans la plupart des cas, les familles qui choisissent l'Instruction en Famille ne souhaitent pas faire "l'Ecole à la Maison". Autrement dit, même si elles travaillent parfois avec des outils classiques, l'une des premières raisons du choix de l'IEF est de suivre le rythme de l'enfant.
C'est pour cela qu'elles font majoritairement le choix d'une pédagogie différente de celle de l'Education Nationale. Or qui dit pédagogie différente, dit outils différents et progression différente, ce qui ne veut pas dire que les enfants ne sauront rien à la fin, bien au contraire.
Le texte qui régit nos obligations se base sur l'acquisition du socle commun des compétences. Un texte relativement vague qui laisse une assez grande liberté sur la manière de le mettre en œuvre. Or les inspecteurs ne connaissent bien souvent qu'une seule manière de vérifier ces compétences: les exercices de la pédagogie classique.
Dans la situation actuelle, on rencontre bon nombre d'inspecteurs plutôt ouverts et capables d'évaluer le travail d'un enfant avec d'autres lunettes que celles des exercices de leurs livrets d'évaluation standardisés. On rencontre bien des inspecteurs très obtus qui ne jurent que par les tests écrits, mais il est possible, pour les parents qui le souhaitent, de s'opposer à ces personnes et de demander un autre type d'évaluation. Parfois les inspecteurs refusent de respecter ce droit des parents et les choses peuvent aller jusqu'au tribunal.
Aujourd'hui, pour couper court aux situations litigieuses, la Ministre de l'Education a décidé de simplifier le problème et de mettre fins aux procès qui opposent les familles aux Inspecteurs académiques en rendant simplement les tests systématiques!
Cette décision est totalement liberticide! Certes, l'IEF n'est pas soumise à autorisation comme le souhaitait Eric Ciotti, mais on la musèle, on lui enlève ce qui fait sa spécificité et sa richesse. On impose aux enfants de se soumettre encore et toujours à la pédagogie classique.
Pourtant, la Déclaration des Droits de l'Homme est claire:
« Les parents ont par priorité le droit de choisir le genre d’éducation à donner à leurs enfants. »
Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, 1948, article 26-3.
« Nul ne peut se voir refuser le droit à l’instruction. L’Etat, dans l’exercice des fonctions qu’il assumera dans le domaine de l’éducation et de l’enseignement, respectera le droit des parents d’assurer cette éducation et cet enseignement conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques. »
Protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, 1952, article 2, protocole n°1.
« La liberté de créer des établissements d’enseignement dans le respect des principes démocratiques, ainsi que le droit des parents d’assurer l’éducation et l’enseignement de leurs enfants conformément à leurs convictions religieuses, philosophiques et pédagogiques, sont respectés selon les lois nationales qui en régissent l’exercice. »
Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne, 2002, Article 14-3.
L'IEF n'est pas un copié-collé de l'école. L'Education Nationale (dont j'ai fait partie pendant 12 ans) n'a pas le monopole de l'apprentissage et du savoir. On peut avoir atteint des compétences du socle commun sous une autre forme que celle que l'on retrouve dans les exercices scolaires!
L'Education Nationale ne semble capable de voir qu'à travers son propre moule. Mais qu'elle commence par faire sa propre évaluation!
Quand 25 % des élèves sortent avec des acquis fragiles du primaire et 15% sont en très grande difficulté, que ces chiffres ne baissent pas (loin de là) depuis des années et des années, il serait bon qu'elle change enfin de lunettes pour voir le monde. Qu'elle entende les neuro-scientifiques, qu'elle arrête de mettre des bâtons dans les roues de ceux qui essayent de rendre le système plus efficient (les enseignants Freinet, Céline Alvarez...), voire même qu'elle se ressource dans les expériences des écoles alternatives et des parents IEF (rêvons...)!!
Mais non, au lieu de résoudre ses propres problèmes, L'Education Nationale préfère passer beaucoup de temps à réglementer la situation de 0,03 % d'enfants (les enfants en IEF hors CNED). Et sur cet infime pourcentage d'enfants, un député de la majorité avoue lui-même en Commission Spéciale que les problèmes, "sont des cas infimes".
Mais leur problème, c'est que, bien que très marginale, l'IEF progresse ces derniers temps. Rendez-vous compte, plus 30% ces dernières années, affirme le ministre Patrick Kanner, dans cette même Commission Spéciale. Et visiblement, ce "raz-de marée" (0,03 % d'élèves, on le rappelle) les agace, voire même leur fait peur...
C'est qu'en la matière, le gouvernement peine à accepter l'effectivité de la liberté de l'instruction. Qu'une poignée "d'hurluberlus" échappe à l'école traditionnelle, c'était déjà tout juste supportable, mais si en plus ce nombre augmente!...
Malgré les paroles apaisantes de la Présidente de la Commission spéciale sur le fait que la liberté d'instruction n'est nullement remise en cause, le discours de Mr Carpentier est extrêmement révélateur d'un courant de pensée dominant. Je vous laisse en découvrir la teneur translittérée par mes soins:
"Je souhaite que la norme pour notre pays soit un maximum de scolariser nos enfants, donc, ça doit être un effort chaque jour de notre système scolaire; c'est pour ça qu'on a fait la refondation de l'école. Il faut que l'école réponde aux questions. Après, il y a le droit des familles, qui doit être strictement contrôlé. Et au vu des chiffres donnés par le ministre, je suis satisfait de la proposition que fait le ministre aujourd'hui. Elle est claire, elle est nette, et j'en suis très content."
On voit bien que le rêve de ce monsieur est de ramener dare-dare tous ces enfants qui lui échappent dans le giron de l'école. Ça doit même être "un effort de chaque jour" ! On dirait vraiment que cela lui fait mal que des enfants puissent apprendre en dehors de l'école. Et s'il ne peut pas ouvertement contester le droit des familles, on sent nettement la volonté de contrôler très étroitement.
Et c'est là le maître mot, à mon avis. C'est là la maladie de ce siècle et de ce gouvernement. Vouloir tout contrôler, mesurer, faire rentrer dans le moule... Tant est si bien que l'humain passe à la moulinette!
Ce texte m'a tout l'air, encore une fois, d'être un texte de réaction. Un texte dictée par la peur, peur de l'autre (la référence à la radicalisation apparaît dans les motivations du texte), peur d'une manière de faire et de penser différente... Le tout enrobé dans un discours fédérateur autour de l'égalité et de la citoyenneté.
Mais c'est surtout un texte inspiré par la volonté de mettre tout le monde sur le même plan, de nourrir tout le monde à la même soupe. Mais c'est oublier que l'humain est divers, multiple. C'est oublier que nos grands penseurs, nos grands scientifiques, ceux qui ont fait changer le monde, étaient tout sauf des gens dans le moule!! Ce texte me fait penser à un insecticide ou un pesticide qu'on répand dans un champ. Exit les mauvaises herbes, exit les coquelicots, exit les pollinisateurs! Pourtant, quoi de plus beau qu'un champ de blé avec des coquelicots ?
Nous, les parents IEF et les éducateurs des écoles alternatives, nous sommes les herbes folles, les coquelicots du champ de blé de l'éducation. Je vois bien que, depuis quelques temps, maintenant, de plus en plus d'enseignants eux-mêmes étouffent dans le carcan normatif de l'Education Nationale (d'ailleurs, je ne veux plus y remettre les pieds).
Ils viennent se ressourcer auprès de nous, qui proposons un modèle différent. Mais vu du ministère, cette réalité n'existe pas. On préfère se payer de mots, faire mine que l'IEF est dangereux et ne surtout rien faire pour améliorer le système scolaire...
J'ai conscience que mon billet part un peu dans tous les sens. C'est que j'ai tellement de choses qui me viennent que je ne sais comment tout rassembler dans un tout cohérent.
Mais d'autres sur la toile ont écrit très bien sur ces thèmes.
Je vous invite particulièrement à aller lire le très beau (et impertinent) billet de Bernard Collot ainsi que les nombreux articles d'Isa Lise.
Et comme tout n'est pas encore joué, si vous aussi vous estimez que la liberté d'instruction doit être défendue, que vous la pratiquiez ou non, que vous soyez parent ou enseignant, n'hésitez pas à signer la pétition de Colect'IEF.
Je n'avais pas vu cette pétition, merci !
RépondreSupprimerSur mon blog, je relaye l'action de LEDA : appel à attestations pour aller en justice.
C'est ici : http://apprendre-a-la-maison.eklablog.com/recent
MERCI pour ce billet qui reflète bien le fond de ma propre pensée... que je n'ai pas le temps d'exprimer sur mon blog !!! Et quant à la protection des enfants, figure-toi que Mr l'Inspecteur a annulé sa visite de contrôle à notre domicile 5 jours avant la date prévue " faute de temps en cette fin d'année bien chargée "...
RépondreSupprimerMerci Marie Hélène pour ce billet qui exprime totalement ce que je pense. La partie n'est pas perdue mais loin d'être gagnée. La balle est dans le camp des sénateurs maintenant. Il est toujours possible de leur écrire.
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